Appel à communications

Appel à communications - Les âges de l'espace, les espaces de l’âge

 

D’ordinaire perçu comme une simple catégorie biologique ou administrative, l’âge peut être appréhendé comme un objet sociologique complexe. À ce titre, la sociologie contemporaine aborde l’âge comme le produit et le reflet de relations, parfois antagoniques, entre différents groupes sociaux, plutôt que comme étant simplement limité à une caractéristique figée et individuelle (Rennes, 2019). De ce fait, les catégories d'âge peuvent être pensées comme des constructions sociales qui évoluent en interaction avec d'autres rapports sociaux tels que la classe, la race et le genre, bien que les rapports de pouvoir lié à l’âge, plus réversibles peut-être, semblent aussi s’en distinguer à certains égards. L'atelier doctoral s’adresse à des doctorant·es issu·es de la sociologie mais aussi d’autres disciplines connexes telles que l’histoire, la géographie, l’anthropologie, l’urbanisme, l’architecture ou les sciences politiques. L'appel à communication propose, d’une part, d'explorer comment l'espace contribue à définir et à structurer les rapports d'âge, et d’autre part, de s’intéresser à la manière dont les rapports de pouvoir liés à l’âge se projettent dans l’espace et le façonnent. À ce titre, la notion d’espace est entendue de manière large, désignant tant les grands types d’espaces géographiques - de l’urbain au rural - que les espaces plus restreints - institutionnels ou domestiques - ainsi que les pratiques socio-spatiales qui se déploient à ces différentes échelles. Cette journée doctorale pourra enfin être l’occasion d'aborder les débats sur les différentes notions mobilisées pour évoquer l'âge (classe, catégorie, groupe, rapport…) à l'aune de la dimension spatiale de ces processus.

 

Axe 1 - Définir les catégories d’âge par les pratiques spatiales ?

Dans un premier temps, les communications pourront se pencher sur l’association entre certaines pratiques spatiales et les diverses étapes du parcours biographique, dans le cadre des « définitions sociales » des âges de la vie (Chamboredon et Prévot, 1973), par exemple au moment de « l’entrée dans la vie adulte » (Galland, 2020) ou du passage à la vieillesse (Caradec, 2008).
En effet, si les évolutions du statut professionnel, les étapes de la vie conjugale et matrimoniale, ou les transformations des pratiques de loisirs sont souvent évoquées pour mettre en lumière ces transitions entre les différents âges de la vie ;  le rôle de la dimension spatiale de ces évolutions biographiques est moins souvent identifié. L’objectif de cet axe sera alors de regrouper des travaux qui mettent en lumière la manière dont les transformations dans les pratiques spatiales des individus peuvent aussi conditionner leur franchissement des barrières symboliques entre les différents âges. 

On s’intéressera autant aux évolutions progressives des usages de l’espace qui déterminent des formes continues de vieillissement, qu’aux ruptures plus radicales engagées par certaines modifications des modes de vie au cours du parcours biographique (départ du domicile parental, naissance d’enfants, retraite…).

Les communications pourront par exemple montrer comment la construction de l’adultéité et la sortie de la jeunesse (ou même de l’enfance) sont en partie déterminées par l’adoption d’usages particuliers de l’espace. Les travaux sur l’enfance soulignent en quoi l’entrée dans l’adolescence en ville est corrélative de l’apprentissage de pratiques autonomes de l’espace urbain (prendre les transports, marcher seul·e dans la rue, se repérer dans le ville…) (Rivière, 2017). Plus tard dans le parcours de vie, on pourra s’intéresser au lien qu’entretient l’entrée dans l’âge adulte avec des trajectoires de mobilité résidentielle (Faure & Le Dantec, 2017). On pourra se demander dans quelle mesure elle est systématiquement synonyme d’une rupture plus globale dans les pratiques de mobilités et de fréquentations de certains types d’espaces de loisirs…

À l’inverse, certaines modalités de pratiques de l’espace peuvent enfermer des individus dans des catégories liées à la jeunesse. La figure médiatico-politique du « jeune de cité » est ainsi intrinsèquement liée à des modalités d’usage de l’espace urbain (notamment le fait de « trainer » dans la rue ou dans le parties collectives des immeubles) (Mohammed, 2012).

 

De manière similaire, on s’intéressera à la manière dont la perception du vieillissement est engagée par une transformation des rapports à l’espace. La retraite est ainsi typiquement un moment de transformation des pratiques résidentielles, qui peut impliquer des mobilités géographiques importantes (Caradec, 2010). L’attention pourra aussi porter sur les nouveaux usages des mêmes espaces : nouveaux loisirs, nouvelles modalités de transports, nouveaux calendriers des déplacements et des circulations, etc, qui contribuent à construire les représentations d’une identité de retraité·e. 
Considéré à l’inverse comme une forme de déprise (Clément et Mantovani, 1999), le vieillissement peut aussi comporter une dimension spatiale, en ce que « le réaménagement de la vie » qu’il engage se caractérise par la restriction des espaces fréquentés et le repli sur la sphère domestique.

 

Les communicant·es sont invité·es à envisager le vieillissement comme  un processus social qui se manifeste selon des temporalités variables à travers toute la vie adulte, et pas uniquement après la retraite. Dans une perspective biographique, la prise en compte des socialisations spatiales (à l’espace et par l’espace) antérieures constitue une clef d’analyse des trajectoires sociales tout au long de la vie (Delon, 2019)

Axe 2 - Des espaces définis par des critères spécifiques d'âge

Cet axe propose de s'intéresser aux espaces dédiés à certaines catégories d’âge. Il s’agit ainsi de déterminer comment certains lieux sont définis principalement par l’âge des personnes auxquelles ils sont dédiés, qu’ils soient lieux d’accueil ou de refuge (Glevarec, 2010), lieux choisis ou subis. Nous souhaitons inviter ici les propositions venant analyser la gouvernement et la répartition des lieux d’encadrement ou de ségrégation des âges. L’analyse des dispositifs institutionnels, des espaces dédiés, autant que des pratiques de ces espaces permet de venir éclairer une actualité de la recherche sociologique sur les âges. Quels sont les lieux dédiés aux différents âges ? Quels types d’acteurs encadrent et agissent sur ces espaces ? Comment se repérer dans la multiplicité des dispositifs créés pour encadrer les précarités liées à l’âge (jeunesse ou vieillesse) ? Comment l’instauration de ces dispositifs forge les contours de la précarité identifiée par les pouvoirs publics ? Que viennent-ils produire sur la définition des catégories d’âge ?

 

Cet axe propose d’envisager de façon large les lieux marqués par des normes d’âge formelles. Il peut ainsi s’agir de lieux d’encadrement des parcours de vie aussi divers que les institutions scolaires (crèches, écoles, collèges, lycées, universités), hospitalières, pénitentiaires ou psychiatriques. L’importance de seuils d’âge stricts dans ces institutions, semble particulièrement importante à scruter pour analyser la fréquentation des espaces spécialisés. Les lieux d’habitats spécifiques, comme les pouponnières, les EHPAD (Mallon, 2014) ou encore les expérimentations de cohabitation intergénérationnelle, pourront également être interrogés à l’aune du critère d’âge. Quelles pratiques, y compris considérées comme déviantes, y prennent place ? Comment les rapports sociaux s’y déploient, notamment entre professionnel·les et public accueilli ? Quels sont les types d’acteurs promeuvent et gouvernent ces lieux, et quelles formes de marchandisation ou de retrait de l'État social peut-on y repérer ? Au-delà de ces institutions spécialisées, les seuils d’âge formels, notamment celui de la majorité, conditionnent l’accès à certains types d’espaces, comme les lieux festifs, ou l’acquisition d’une mobilité plus grande, notamment automobile. Les communications pourront ainsi analyser la dimension spatiale de ces marqueurs institutionnels et formels du passage à l’adultéité, et leur éventuelle transgression. 

 

Les formes de spécialisation par l’âge des espaces peuvent aussi être appréhendées selon des modalités plus diffuses et des normes moins formelles ou explicites. Le marquage spatial par l'âge peut s'articuler avec d'autres processus de constructions symboliques de l’espace par les groupes sociaux (Collet, 2012) et se combiner à ces derniers. Les représentations associées aux espaces locaux sont aussi construites par les politiques publiques, qui produisent des récits valorisants comme le marketing territorial, ou au contraire stigmatisent certains quartiers pour légitimer leur action. L’âge semble participer à ces processus de construction des représentations sociales de l’espace, la présence de personnes âgées étant par exemple associée au déclin démographique (Paumelle, 2023). A l’inverse, les politiques d’attractivité résidentielle visent plus souvent les familles des classes moyennes et supérieures, mais excluent de fait la jeunesse des classes populaires (Collectif Rosa Bonheur, 2019). De même, quelle est l’influence des dispositifs de participation dédiés à certains groupes d’âge ?  Comment les différents âges sont jugés légitimes pour fréquenter ou habiter certains espaces ? Enfin, quelle place pour l’âge dans la construction de l’indésirabilité au regard des rapports sociaux de classe, de genre et de race ? 

 

Axe 3 - Que font les groupes d’âge à l'espace ?

Ce troisième axe invite à penser ce que les groupes d'âge font à l'espace, et ainsi à réfléchir par le bas aux effets spatiaux des pratiques de certaines catégories d'âge. 

Les communications pourront questionner les pratiques différentielles de l'espace  selon les groupes d'âge. Il s’agira ainsi de s’intéresser aux types d’usages, à leurs lieux et à leurs temporalités en fonction des âges de la vie (Grafmeyer et Authier, 2019), tout en mettant en regard les autres appartenances sociales des individus. Comment les pratiques socio-spatiales des enfants ou des jeunes sont-elles marquées par d’autres déterminants sociaux (Pop Art 2021; Beaud & Mauger, 2017) ? Comment se déclinent, dans l’espace, les pratiques liées à la parentalité (Gilow, 2019) ? Comment le genre et la classe influent-ils sur le quotidien des personnes retraitées (Quiroga, 2014) ? Comment les pratiques spatiales des groupes d'âge se matérialisent-elles dans l'espace ?  Ainsi, cet axe propose d'interroger la manière dont des usages distincts de l’espace participent localement à la constitution des frontières entre les groupes d’âges. Il pourra s'agir ici d'explorer la façon dont des catégories, comme "les jeunes" ou  "les vieux", sont construites notamment en lien avec des pratiques socio-spatiales.


Par ailleurs, ce troisième axe permettra aussi de discuter de comment l’espace est marqué par la présence des groupes d’âges. Les contributions pourront se pencher sur des questionnements spécifiques pour réfléchir, par exemple, à l’impact de la domination d’un groupe d’âge sur différents aspects de la vie urbaine, tels que les prix de l’immobilier, l’attrait de la ville, la présence policière ou les dynamiques commerciales. Nous invitons ainsi à interroger l'appropriation de l'espace par certains groupes sociaux à l'aune des rapports d'âge. Peut-on parler de ségrégation générationnelle ? La gentrification a-t-elle un âge ? La concurrence entre marché locatif et résidence secondaire dans les zones touristiques reflète-t-elle une compétition entre ménages jeunes et vieux ? (Droit à la ville Douarnenez, 2023).

Aussi, cet axe vise à explorer les relations entre les groupes d’âge et leurs luttes pour la définition des espaces. Il encourage les contributions ethnographiques qui examinent comment les groupes d’âge, marqués par diverses appartenances sociales, influent sur la perception et l’interprétation des espaces. Comment certains groupes d’âge - “les jeunes” ou “les ainés” par exemple - parviennent-ils à “donner le ton” dans un espace (Chamboredon et Lemaire, 1970), façonnant l’espace depuis leurs expériences et produisant ainsi une lecture de l’espace par l’âge?


Bibliographie

Beaud, S. & Mauger, G. (2017). Une génération sacrifiée ? Jeunes des classes populaires dans la France désindustrialisée. Paris : Éditions rue d’Ulm.

Caradec, V. (2008). « “Jeunes”  et “vieux”  : les relations intergénérationnelles en question », Agora débats/jeunesses, 49-2, 20-29.

Caradec, V. (2010).  « Les comportements résidentiels des retraités. Quelques enseignements du programme de recherche “Vieillissement de la population et habitat” », Espace Populations Sociétés, [En ligne], 2010/1, 29-40.

Chamboredon, J-C. & Prevot, J. (1973). « Le “métier d’enfant”. Définition sociale de la prime enfance et fonctions différentielles de l'école maternelle », Revue française de sociologie, 14-3, 295-335.

Clément, S. & Mantovani, J. (1999). « Les déprises en fin de parcours de vie »,  Gérontologie et Société, 22-8, 95-108.

Collectif Pop Art. (2021). Jeunes de quartier. Le pouvoir des mots. Caen : CFC Éditions.

Collectif Rosa Bonheur (2019). La ville vue d’en bas : Travail et production de l’espace populaire. Paris, Éditions Amsterdam.

Collet, A. (2012). « Montreuil, “le 21e arrondissement de Paris” : La gentrification ou la fabrication d'un quartier ancien de centre-ville. »,  Actes de la recherche en sciences sociales, 195-2, 12-37.

Delon, M. (2019).  « Aux frontières de la mobilité sociale : Espaces et socialisations dans les bidonvilles et cités de transit de l’après-guerre. » Sociétés contemporaines, 115-3, 123-149.

Droit à la ville Douarnenez, (2023). Habiter une ville touristique : Une vue sur mer pour les précaires. Rennes : Éditions du Commun,

Faure, L. & Le Dantec, É. (2017/2). « Expériences résidentielles, insécurité socio-économique et reconfiguration des appartenances sociales lors de l’entrée dans la vie adulte. » Sociologie, 8-3, 161-180.

Galland, O. (2000). « Entrer dans la vie adulte : des étapes toujours plus tardives, mais resserrées », Économie et statistique, 337-2, 13-36.

Gillow, M. (2019) « Le Travail Domestique de Mobilité - Un concept pour comprendre la mobilité quotidienne des travailleuses avec enfants à Bruxelles », Thèse de doctorat en sociologie, sous la direction de Lannoy, P. & Van Criekingen, M. Soutenue à l’Université Libre de Bruxelles en juillet 2019.

Glevarec, H. (2010). « 3. La culture de la chambre. » in Glevarec, H. La culture de la chambre. Paris : Ministère de la Culture - DEPS, 47-67.

Gramfeyer, Y. & Authier, J-Y. (2019). Pour la sociologie urbaine. Lyon : Presses universitaires de Lyon.

Mallon, I. «  13. Vieillir en maison de retraite » in  Caradec, V. et al. Vieillesses et vieillissements : Regards sociologiques. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2014, pp. 323-336.

Mohammed, M. (2012). « 9. Schémas de sortie de bande : de l'usure de la rue à l'ouverture sociale », in Mohammed, M. (dir). Les sorties de délinquance. Paris : La Découverte, 182-209.

Paumelle, A. (2023). « Les bourgs ruraux face au vieillissement de la population : des stratégies d’attractivité résidentielle en décalage avec les dynamiques démographiques et migratoires ? », Espace populations sociétés [En ligne], 2023/1, URL : https://journals.openedition.org/eps/13619.

Rennes, J. (2019). « Déplier la catégorie d’âge: Âge civil, étape de la vie et vieillissement corporel dans les préjudices liés à “l’âge” », Revue française de sociologie, 60-2, 257-284.

Rivière, C. (2017).  « Du domicile à la ville : étapes et espaces de l’encadrement parental des pratiques urbaines des enfants », Espaces et sociétés, 168-169-2, 171-188.

Quiroga, P. (2014). « Quelles mobilités quotidiennes des populations pauvres et vieillissantes à Recife ? », Espace populations sociétés, [En ligne], 2014/2-3, URL : http://journals.openedition.org/eps/5841.



Personnes connectées : 2 Vie privée
Chargement...